A bord de la barque du cargo, nous quittons l'Ucayali sur lequel
nous naviguions depuis 3 jours et empruntons le rio Yarapa. Peu
après son embouchure, nous débarquons...bagages, bidons d'essence
et provisions sont déchargés. Nous faisons nos adieux aux deux
hommes d'équipage qui repartent rejoindre le cargo en route vers
Iquitos et cheminons par un court sentier jusqu'à la casa Shapshico,
lieu de résidence de ces 3 jours inoubliables en jungle amazonienne.
Maison en bois sur pilotis au toit de palme, les travaux ne sont
pas complètement finis mais le confort minimum est présent. Notre
luxe est d'avoir un guide et un batelier pour nous deux et
l'ambiance y est plus authentique que tous ces lodges qui bordent le
Yarapa.
César, notre hôte, guide et futur ami est natif de la région et
y a toujours vécu.. Vivant, comme tous les habitants, des ressources
de la jungle et du fleuve la création de la réserve le laisse sans
moyen de subsistance. Les autorités interdisent de pêcher, chasser
ou cueillir mais ne lui proposent rien en échange. Aller vivre à la
ville pour trouver du travail ne l'enchante pas , lui qui a dans son
cœur son paradis et enfer vert qu'est et peut être la jungle.
Continuant ses activités, il a des soucis avec la justice et décide
donc de devenir guide et de proposer ses propres excursions. Les
hauts fonctionnaires approuvent et applaudissent mais ne lui donne
aucun moyen pour développer sa petite entreprise. Concurrence
inégale face à ces immenses et magnifiques lodges gérées par des
américains et qui fleurissent dans la région !! Notre séjour
et nos devises lui permettrons donc de continuer sa maison, de faire
vivre sa famille et est pour nous une façon plus authentique et
beaucoup moins cher d'explorer cette amazonie tant rêvée. Si vous
passez par là, n'hésitez pas ! ( lien internet :
www.viajeselvaperu.com)
Il est bien sûr important de protéger et de conserver cette
biosphère à la biodiversité incroyable et véritable poumon de
notre terre....écolos dans l'âme nous en sommes convaincus...les
dégâts de l'exploitation forestière, pétrolifère et aurifère
dont nous sommes témoins pendant notre voyage sur le rio Ucayali,
nous prouvent qu'une fois de plus « selon que vous serez
puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou
noir » («Les animaux malades de la peste» La Fontaine)
Le long des berges s'étale le village : maisons précaires
sur pilotis, potager, verger de camu camu dont les fruits semblables
à de grosses cerises servent à la fabrication d'une boisson au goût
délicieux, basse cour et même un petit commerce nous permettant de
nous ravitailler en cigarettes. La vie y est paisible...Les enfants
s'amusent à grand renfort de rire, les femmes assises dans les
barques font leur lessive, des hommes pêchent tandis que d'autres
s'affairent à la construction de leur maison ou de leur embarcation.
Après un peu de repos et un copieux petit déjeuner nous partons
sur le Yarapa à la découverte des alentours. César est un
véritable expert et repère ,dans ce touffu tapis végétal,
oiseaux, singes et même un iguane perché là haut sur une
branche... Nous nous approchons à la rame pour avoir toutes nos
chances d'apercevoir ce monde animal si discret. Les papillons, eux,
aux diverses couleurs et formes effectuent autour de nous leur danse
légère, se moquant bien de notre présence. Les « morphos »
au bleu métallique étincelant viennent nous narguer, se posant
régulièrement et s'envolant au moment de prendre la photo .
Nous débarquons et partons marcher dans la forêt...Pantalon et
manches longues sont nécessaires pour se protéger de notre pire
ennemis... non pas les tarentules, ni les serpents ( que nous n'avons
d'ailleurs pas rencontrés durant tout notre séjour)...mais les
moustiques. Malgré nos précautions et les produits répulsifs,
voraces et innombrables, ils se font un plaisir de me dévorer. Ici
les sous bois sont boueux et marécageux, la forêt étant pendant
plusieurs mois inondée (en saison des pluies) et les marques du
niveau de l'eau sur les arbres nous laissent perplexes..difficile de
s'imaginer ce décor littéralement submerger. Les bottes ne sont
donc pas un luxe et tant pis pour le look !! ( pire que quand je
travaille dans mon jardin !)
Arbres gigantesques, racines défiant l'imagination et lianes
s'entortillant, grimpant et se déroulant avec art et esthétisme.
César nomme chaque espèce de végétal et leur propriété ainsi
que leur utilité médicamenteuse. Un savoir ancestral non oublié et
toujours en usage aujourd'hui. Quelques coques de fruits à terre
nous font partir à la recherche de singes...De temps en temps nous
nous figeons, immobiles, tous les sens en alerte, à guetter un bruit
ou un mouvement dans les hauteurs des branches. Mais pour cette fois
nos recherches sont vaines et la faim tiraillant nos estomacs nous
rentrons à la maison.
Cet après midi, notre embarcation nous attend pour une autre
découverte....César emporte 4 cannes à pêche...disons plutôt 4
fins bouts de bois auxquels est accroché un fils de pêche avec à
son extrémité un gros hameçon...Après une grosse demi heure de
navigation, nous empruntons un sentier entouré d'immenses bambous
d'où nous rejoignons un étang. Là, des nénuphars géants (
Victoria regia ) ont envahi tout l'espace, le paysage est magnifique
et même les moustiques n'arrivent pas à nous gâcher le plaisir des
yeux. Entre ces superbes plantes aquatiques et leurs fleurs nous
jetons nos lignes...César et notre batelier font preuve d'une
agilité étonnante (vu le matériel précaire utilisé) et ont très
vite du succès. Denis, après plusieurs échecs, finit par attraper
3 ou 4 de ces beaux poissons carnivores tandis que toutes mes
tentatives restent vaines...Mais la beauté des lieux me suffit
amplement et me comble de joie. César, appuyé sur un bout de bois
immergé, est dans ses pensées quand soudain celui s'enfonce et se
rompt. Malgré son moulinet de bras pour essayer de se rattraper, il
se retrouve les fesses dans l'eau . D'un bond il en sort très
vite,trempé et vaseux mais sans dommage. Assurés qu'il ne s'est
pas blessé, nous partons dans un fou rire général.
Le soir tombe, un couple de papagayo nous survole en poussant
quelques cris tandis qu'autour de nous la jungle semble se réveiller
et un concert de bruit d'insectes s'élève de ces terres inondées.
L'attaque des moustiques s'intensifie mais absorbés par le charme du
coucher de soleil nous en oublions tous les désagréments.
La journée se termine à la casa Shapshico autour d'un bon repas
et nous passons le reste de la soirée à écouter César nous conter
histoires et légendes de ce pays qu'il sait si bien raconter...Le
fleuve, le ciel, la jungle et sa faune sont les puissants héros
d'un monde fantastique et qui nous est totalement inconnu ... Tels
des enfants qui ne veulent pas dormir, nous pourrions l'écouter
toute la nuit.
La maison s'active déjà depuis un moment mais nous ne sortons du
lit que vers les 8 heures. A peine réveillés, nous admirons notre
décor...la casa semble vide... Une seule idée pour l'instant :
un bon café...
César fait son apparition tandis que les papagayos au loin nous
accueillent bruyamment...De suite , l'instinct du guide prend le
dessus et il cherche à nous les montrer, nous chaussons donc nos
bottes et nous voici partis à la recherche de ces majestueux
oiseaux...Ils sont par là...encore un peu plus loin....non là
bas...finalement nous nous enfonçons à travers la forêt pour enfin
apercevoir ces grands et magnifiques perroquets colorés. Emportés
par l'enthousiasme de César à nous faire découvrir un maximum de
choses, nous faisons une ballade de plus d'une heure et c'est ainsi
que je me retrouve à faire Tarzan au bout d'une liane ( il ne
manquait que le costume et le cri...finalement un vieux rêve
d'enfant réalisé...Moi , Jane!!) pour traverser un petit ruisseau …
toujours en pyjamas et l'estomac vide !! Mais notre escapade en
vaut la peine, papagayo, singes et même un paresseux perché au loin
sur une branche et que nous distinguons aux jumelles comme une boule
de poil, croisent notre route.
Après notre petit déjeuner tant attendu, nous nous préparons à
partir en campement dans la jungle et a y passer la nuit. Toute la
maison s'affaire pour que nous ne manquions de rien. César ne nous
accompagnera pas...il doit préparer l'arrivée de 4 touristes pour
le lendemain et c'est Ney qui sera notre guide. Homme de 40 ans natif
et habitant d'un village voisin, son savoir et son expérience n'a
rien à envier à César. Nous voilà entre de bonnes mains.
Plus de deux heures de navigation sont nécessaire pour rejoindre
les rives du lac où nous établissons notre campement.
Il faut dire
que Ney, à notre grand plaisir, stoppe régulièrement notre
embarcation pour nous faire admirer la flore et la faune qui peuplent
les berges du Yarapa.
Ici le « mama vieja » (rapace
pêcheur), un peu plus loin une tortue prenant le soleil, là des
singes dégringolant joyeusement de branches en branches....bref
toute une vie qu'il nous explique avec plaisir et que nous dégustons
avec délice. Le moment est agréable et le paysage magnifique. L'eau
sombre du fleuve contraste avec le vert de ses berges, des arbres
dont nous ne voyons pas le sommet nous donne le vertige tandis que
lianes et racines descendent jusqu'à l'eau dans des enchevêtrements
hallucinants. Des jacinthes d'eau envahissent par endroit le rio, le
recouvrant tel un tapis où d'autres végétaux peuvent sans souci
s'épanouir, comme si la jungle en ébullition se répandait hors de
ses limites.
Puis le décor s'ouvre sur l'immensité du lac que nous traversons
. Déchargement des provisions et du matériel nécessaire à un bon
séjour et Ney et notre fidèle batelier installent deux hamacs. Le
mot d'ordre : « reposez vous pendant que nous finissons
l'établissement du campement et préparons le repas. » De
vrais pachas !! La chaleur est étouffante et malgré manches
longues et pantalons les moustiques sont déjà bien présents.
L'après midi, Ney nous amène en ballade dans la jungle. Muni de
sa hachette, il libère le passage des branchages ou autre qui
peuvent gêner notre progression mais surtout marque notre chemin par
une encoche sur les troncs. Ici pas de sentier et nous nous déplaçons
sans boussole. Nous retrouvons le décor déjà aperçu avec César
et Denis essaye d'apprendre à reconnaître les arbres qu' identifie
Ney. Ruisseaux , mare de boue, lianes, arbres géants et moustiques
nous accompagnent pendant ces quelques heures. Pas de fleur dans ces
sous bois où la lumière transperce partiellement mais un vrai
parcours du combattant. Nous dégoulinons littéralement de sueur et
l'armada d'insectes suceur de sang nous attaque tandis qu'un concert
de mains chassant ces opportuns rythme notre marche...mais je reste
leur cible favorite malgré l'application régulière de répulsif.
Le soleil est bien bas quand nous retrouvons notre camp, fatigués
mais heureux de cette expérience unique et émerveillés du savoir
de notre guide et de la façon dont les habitants de cette région
savent tirer profit de cette nature extrême. 12 ans d'apprentissage
ont été nécessaire à Ney pour pouvoir se diriger ainsi en pleine
jungle et ne pas se perdre. Non seulement il est devenu un bon guide
mais est aussi un excellent cuisinier !
Pour l'instant, je n'espère qu'une bonne douche mais même la
baignade dans les eaux du lac n'est pas recommandée, la présence de
piranhas la rend dangereuse et à la vue de la cicatrice de la jambe
de Ney j'en suis vite convaincu, nous nous contentons donc, assis
dans la barque, d'un petit nettoyage.
Le ciel se charge de nuages et nous profitons du spectacle du
coucher du soleil et du bruit de la jungle qui nous dit
bonsoir....mais la guerre est déclarée.. jamais je n'ai subi une
telle invasion de moustiques et je me fais véritablement
dévorer...Ney sort l'artillerie lourde et nous encercle de spirales
insecticides...Eh oui ce n'est pas bon pour la santé mais là c'est
une question de survie !!!
Quand la nuit s'est installée , nous embarquons pour essayer
d'apercevoir les caïmans sortant se restaurer. Nous naviguons dans
le noir à la rame à travers les tapis de jacinthes. Crapauds et
grenouilles nous offrent un récital assourdissant donnant une
ambiance bien particulière à notre expédition. Muni de sa lampe
torche, Ney balaie les environs avec l'espoir d'entrevoir ce grand
prédateur mais sans résultat. Il se met à pousser un cri guttural
imitant ainsi l'appel des caïmans...pas un bruit ( sauf bien sûr,
celui des batraciens!)...il répète plusieurs fois ce son bizarre
qui semble sortir d'un autre corps quand soudain, là bas, au loin on
lui répond. Cette fois, l'animal est détecté et nous partons dans
sa direction...mais la « bête » ne veut pas sortir de
son repère et l'endroit où il se cache est un réel piège pour une
navigation nocturne. L'orage qui éclate soudain conclue l'aventure
et nous arrivons au campement complètement trempés. Moi qui voulait
une douche , je suis servie !!!
Au matin,quand nous sortons de dessous la moustiquaire, le petit
déjeuner nous attend et nos vêtements ont pratiquement séchés. La
nuit a été douce et sans mauvaise surprise. Le campement est levé
et nous partons à la pêche aux piranhas.
Les petits poissons pêchés avant par notre batelier servent
d'appâts. Pour attirer notre proie, nous frappons la surface de
l'eau avec notre canne, ils sont là... pas de doute.. d'une rapidité
et d'une voracité féroce nous n'avons pas le temps de les ferrer
que l'hameçon est vide. Les touches sont pratiquement imperceptibles
et c'est un joli ballet de fils de pêche tournoyant dans les airs
que nous effectuons Denis et moi. Mais patience et persévérance
payent... fièrement je ramène le premier piranhas... la photo est
de mise..
Joli poisson de forme ovale et à la gorge rouge, il semble
bien inoffensif mais Ney prend toutes les précautions pour lui
enlever l'hameçon et nous montre sa dangereuse dentition...là on a
beaucoup moins envie de l'appeler Nemo et de le mettre dans
l'aquarium....
le spécimen est petit et Ney décide de nous emmener
un peu plus loin voir ses grands frères. Malgré une attente plus
importante, notre équipage en prendra plusieurs, seul Denis reste
bredouille mais l'ambiance est jovial et le paysage et la faune qui
nous entourent suffisent à notre plaisir.
Nous ne sommes pas des
pêcheurs invétérés...même de piranhas!!
Nous finissons notre matinée par la visite, dans un village
proche, d'une lagune où les nénuphars Victoria regia se développent
depuis la nuit des temps et où les habitants conscients de leur
trésor les préservent amoureusement.
Le décor est magnifique et
nous pouvons une nouvelle fois admirer ses superbes plantes et leurs
fleurs à tous les stades de leur développement. Entouré de hautes
herbes et d'arbres les pieds dans l'eau, l'endroit se prête à la
rêverie et au romantisme.
Ney nous présente ensuite sa famille. Sa femme fait un peu
d'artisanat et son grand fils peint la jungle et la faune qu'il
connaît si bien. Le plus petit, lui, fait le pitre et cherche notre
attention. Nous repartons avec quelques souvenirs soutenant ainsi ces
familles essayant de survivre ici en développant quelques activités
touristiques. Frustrés de ne pas avoir pu admirer de près les
paresseux, nous passons en voir un qui a élu domicile chez un voisin
qui le nourrit. L'animal est là haut sous le toit de palme. Le gamin
de la maison grimpe à sa rencontre et l'objet de notre curiosité
s'agrippe lentement à lui. Le paresseux n'est pas spécialement beau
mais sa force dans ses griffes et ses positions d 'enfant sont
surprenantes. Accroché à nous il se laisse caresser comme une
gentille
peluche. Quelques photos souvenirs et il est temps de rentrer à
la casa Shapshico.
Une belle aventure s'achève mais nous resterons en contact avec
la maison Shapshico et les gens qui la font vivre. Encore un bon
repas avec notre ami César, un bon débarbouillage et nous bouclons
nos sacs pour rejoindre Iquitos et la civilisation. ....mais ça
c'est une autre histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire