Ce matin, nous quittons définitivement la selva (jungle) et ses
températures extrêmes pour retrouver les montagnes. Notre
destination Chachapoyas est perchée à 2335 m d'altitude au milieu
d'une immensité de monts et est la base idéale pour découvrir une
civilisation encore bien mystérieuse surnommée par les Incas « le
peuple des nuages ».
La route de Tarapoto à Pedro Ruiz est bonne et asphaltée mais
n'est qu'une succession de virages, de montées et descentes valant
pour la plupart des voyageurs de vider régulièrement et inopinément
leur estomac.
A Pedro Ruiz nous abandonnons notre bus et cette grande voie qui
mène à la côte pour un taxi collectif. Le chemin est plus étroit,
les virages et bitume toujours présents et nous suivons un moment la
rivière puis montons inexorablement jusqu'à Chachapoyas s'enfonçant
peu à peu entre les
montagnes.
Plaisante bourgade coloniale, la ville est animée mais sans
extrême et ses rues aux maisons blanches dotées de jolis balcons en
bois rajoutent au charme. Sa plaza de armas possède, comme de
coutume, son église blanche ainsi que sa fontaine. Le soir, elle se
remplit de monde venant passer un moment tranquille à discuter sur
les bancs. Quelques touristes sont là mais ce n'est pas l'affluence
d'un Iquitos . Les habitants sont souriants et plaisants et de
suite nous prenons plaisir à y déambuler. En s'éloignant du
centre, les maisons en adobe refont leur apparition et d'en haut nous
pouvons admirer d'un regard toute la ville et ses alentours. Le
spectacle est beau et quand les nuages viennent s'accrocher à
quelques sommets, ils augmentent cette impression d'immensité et
d'infini.
Chachapoyas est le centre de la culture du même nom...le peuple
des nuages possédait un vaste territoire dont de nombreux et
magnifiques vestiges subsistent laissant, aujourd'hui encore, les
archéologues et historiens sans véritable réponse. Civilisation
ayant régné entre l'an 500 et 1500, c'est un peuple de guerriers et
aussi de merveilleux bâtisseurs. Les Incas eurent beaucoup de mal à
les conquérir et n'arrivèrent jamais à les soumettre complètement.
Les alentours recèlent donc des trésors cachés peu explorés et
peu visités...La citadelle de Kuelap en est la perle et c'est elle
en autre qui nous amène ici. Des sites funéraires perchés sur des
à – pics vertigineux constituent aussi une curiosité touristique
cependant pillés et difficile d'accès, ils ne peuvent se voir
qu'aux jumelles.
Nous nous contentons donc de visiter le musée de la
ville qui expose des momies très bien conservées et explique les
rites funéraires de ce peuple.
La nature, elle aussi, offre des merveilles sans pareille et c'est
la cascade de Gocta qui retient en premier notre attention.
Après avoir quitter la route principale, notre véhicule monte
sur une piste de terre les derniers kilomètres nous menant à
Cocachimba, village d'où part le sentier menant au pied de la chute.
Mais déjà elle se laisse admirer de loin avec 771 mètres de
hauteur et nous promet un impressionnant spectacle. Notre guide, lui,
nous assure une bonne ballade de 2 heures pour y accéder et nous
propose même d'y aller à cheval, nous confortant dans l'idée que
ce ne sera pas de tous repos.
Les nuages gris du matin se dissipent et les rayons du soleil font
de nouveau leur apparition.
De suite, le ton est donné et nous grimpons un joli chemin
entouré d'une végétation intense. Bananiers, caféiers, fleurs
diverses et champs de canne à sucre nous accompagnent. Quelques
maisons jalonnent le parcours et nous croisons chevaux et hommes
rentrant chez eux.
Les mollets commencent à faire souffrir mais la vue avec en point
de mire la chute nous ravit. La descente vers les gorges est encore
plus raide et on se refuse à regarder en arrière et à penser
au retour. De plus en plus bas, de grands arbres moussus, palmiers et
fougères remplacent les cultures et nous voilà marchant en pleine forêt. Le bruit de l'eau se rapproche....et enfin
nous l'apercevons en entier.... Gigantesque !!!...les alentours
les plus proches profitent d'une constante bruine favorisant ainsi le
développement de la végétation et donnant l'image d'une traînée
d'un vert intense laissée par un peintre distrait. Même quelques
fougères arborescentes vivent là dans cette petite pluie éternelle.
Le décor vaut bien les efforts fournis et la fraîcheur qui y règne
nous oblige à mettre un gilet. Notre guide, un homme du village,
nous raconte la légende de la sirène et de son trésor qui
accompagne ce lieu magique.Il faudra attendre 2005 et la visite
d'un allemand pour que les habitants et le gouvernement péruvien
comprennent que le trésor réside dans cette catarata d'une hauteur
impressionnante et qui est classée maintenant comme la cinquième
plus grande chute du monde. Sortie de son oubli, elle est une valeur
touristique que les locaux semble gérer avec intelligence.
Le chemin du retour me fait un peu peur, connaissant maintenant
les dénivelés qui nous attendent je crains de ne pouvoir y
arriver...je me muni d'un bâton pour m'aider à gravir ces fortes
pentes et nous faisons régulièrement des pauses...s'extasiant
toujours de ce que nous avons monté et non de ce qu'il reste à
faire. Finalement nous ne mettons pas plus de temps que pour l'aller
et nous arrivons au village, fourbus et heureux de cette splendide
ballade avec plein de belles images qui brillent encore dans nos
yeux.
Après une journée de repos pour nous remettre de notre escapade
à la chute d'eau de Gocta, nous décidons de partir à la découverte
de la citadelle de Kuelap. Située dans les montagnes au Sud est de
Chachapoyas, le site peut être rejoint de Tingo viejo par une rude
montée d'une dizaine de kilomètres ( 5 à 6 h de grimpette avec un
dénivelé de 1200m) ou prendre un bus qui vous conduit jusqu'à
l'entrée. Bien sûr de nombreuses agences propose cette excursion
touristique mais nous désirons y prendre le temps et être
totalement libre de nos mouvements. Une fois de plus nous coupons la
poire en deux....Nous prendrons donc le seul minibus public ( partant à 4h du matin !) et redescendrons par le sentier jusqu'à Tingo viejo
d'où un collectivo nous reconduira jusqu'à Chachapoyas. Ce n'est
pas la solution la plus simple mais celle qui nous permet de visiter
Kuelap en totale indépendance.
Il fait donc encore nuit quand notre véhicule quitte la ville et
même s'il ne reste aucun siège de libre nous sommes les seuls
étrangers à bord. La route doit être jolie mais la nuit et la
brume du matin ensuite ne nous permet pas de profiter du décor.
Petit à petit les passagers descendent dans les villages que nous
traversons et c'est seuls que nous arrivons à l'entrée du site. Il
est 6 h du matin et la billetterie n'ouvre qu'à 8h mais un gardien
nous indique une maison un peu plus bas où nous pouvons prendre un
petit déjeuner et nous réchauffer.
Le temps est frais à cette
heure matinale et à plus de 3000 m mais la vue des montagnes et de
cette forêt de nuages qui s'élève doucement est déjà un plaisir
en soi. Le silence, les monts dont les cultures dessinent un
patchwork de vert et le flou artistique du ciel donnent une ambiance
particulière au goût de commencement, de naissance...cette ambiance
que j'apprécie tant quand je rentre à la maison après ma nuit de
travail et que tout semble indiquer que vous êtes seul à profiter
de cet instant unique de la journée.
Les maisons proches de l'accueil du site sont encore en sommeil ,
même le bétail semble à peine sorti des bras de Morphée et seul
un homme est sur le seuil de son logis. Par chance c'est chez lui que
nous pouvons nous restaurer. Le café est bienvenu et sa femme nous
accueille gentiment nous laissant à disposition le thermo et
s’inquiétant maternellement de notre refus de nourriture. Rien ici
ne laisse supposer que l'hôtesse sert petits déjeuners et
café....une simple pièce au rez de chaussée de sa maison où
quelques tables sont disposés mais pas d'enseigne ni même de
pancarte indiquant un quelconque commerce...le prix est
dérisoire..tellement dérisoire que nous lui précisons que nous
nous sommes servis deux fois et insistons pour payer !!
En attendant devant l'accueil l'ouverture de la billetterie, une
belle tarentule prend le soleil sur un muret, nous sommes surpris de
cette rencontre mais Denis tel un enfant désobéissant « ha
oui tu crois ! » et tout en sachant les dangers ne peut
s'empêcher d'aller la titiller. Mais la « bête » reste
imperturbable et ne bouge pas une patte...Tant mieux !!!
Incorrigible mon Indiana.
Un sentier de 3 kilomètres grimpe jusqu'à la citadelle. Là,
nous nous retrouvons au pied d'un immense rempart de 20 m de haut qui
encercle complètement la forteresse et nous nous promenons jusqu'à
son extrémité nord pour apprécier le décor environnant. Coiffant
un pic calcaire abrupte, la vue est vertigineuse et donne sur un
vaste territoire de montagnes où les nuages s'accrochent et se
décrochent dans un ballet constant. Tout autour de hauts arbres sont
couverts de lichen et de broméliacées de couleur rouge, leur
donnant ainsi un charme bien particulier.
Nous entrons par la porte nord par un raide et étroit chemin qui
nous amène au cœur de cette citée.
Le site est moins grand et moins bien conservé que le Machu
Picchu mais ces 400 maisons en ruine sont surprenantes. Rondes et
avec des frises en zig zag ou losange, elles avaient un toit de
chaume en forme de cône....Architecture unique en son genre pour
l'Amérique du Sud... et grands amateurs d'arrondi nous sommes
enchantés et ensorcelés par l'esthétisme de ces constructions.
Nous déambulons plusieurs heures à travers ces vieilles
pierres...Nous sommes seuls sur le site et dégustons avec délice ce
lieu magnifique que rien ne vient perturber. Même les lamas et les
rapaces semblent ignorer notre présence. Oubliant l'existence de
pancartes explicatives et de chemins aménagés, nous nous sentons
tels des explorateurs trouvant enfin la citée perdue...seuls au
monde avec ce trésor caché... là haut, tout là haut perché au
milieu des nuages. Un privilège immense et un bonheur parfait...Il
ne manque plus que le vol d'un condor et là je me dis que je rêve..
surtout ne me réveillez pas !!!
En fin de matinée, une petite pluie fine tombe brièvement sur le site et au
loin nous entendons les voix d'autres visiteurs. Un groupe de jeunes
péruviens visitent le site avec un guide, attentifs et intéressés aux explications qu'on leurs donnent. Ils viennent à notre rencontre
et nous sommes surpris et amusés quand ils sortent leur appareil
photo pour faire des clichés....non pas des monuments mais de
nous !!
Chacun à leur tour, ils viennent poser entre nous deux , les plus
hardis nous entourant de leur bras affectueusement...Leur guide en
perd son péruvien et nous sommes l'objet de toutes leurs attentions.
Un moment d'échanges et de rires, sympathique et si improbable en
ce lieu. Je finis par faire à mon tour une photo souvenir d'eux et
de Denis.
C'est par la porte principale que nous quittons le site, abrupte
et étroit, le passage laisse par endroit passer qu'une seule
personne...peut être une stratégie défensive.
Nous nous abritons pour prendre notre pique-nique avant
d'emprunter le chemin menant à Tingo viejo.
Le chemin est magnifique à travers ces montagnes mais
jamais...jamais je n'aurais pu le faire en sens inverse. 10 km de
descente vertigineuse sur un sentier de terre et pierres où les
genoux sont mis à rude épreuve. Jamais, au grand jamais je n'ai
descendu pareille pente et le soleil faisant sa grande apparition
nous transforme en éponge vivante. Nous en espérons presque une
montée et la ballade de la chute de Gocta nous semble une
plaisanterie en comparaison. Mais que c'est beau... et petit à petit
le rio qui s'écoule en bas grossit et devient de plus en plus
précis. Après 2 h 30 d'effort nous arrivons épuisés à notre
destination où nous nous précipitons sur la marchande de boisson
amusée de nous voir si rouges et si fatigués. Assis sur le bord de
la chaussée nous attendons le prochain collectivo qui nous ramènera
à Chachapoyas, éreintés mais heureux !
L'épreuve physique a ce goût particulier du bonheur béat d'y
être parvenu .
Chachapoyas et sa région nous enchante et nous aimerions y rester
plus longtemps mais nous devons être à Lima le 30 de ce mois et
devons quitter avec regrets le peuple des nuages.
La question
maintenant est de savoir si nous rejoignons Chiclayo et la côte ou
si nous partons à Cajamarca autre belle citée des hauts plateaux du
centre. La deuxième solution nous tente plus mais notre guide décrit
la route comme magnifique mais très dangereuse....On nous assure que
maintenant elle est entièrement asphaltée.....alors plus
d'hésitation et en route pour Cajamarca...mais ça c'est une autre
histoire.
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