Nous tuons le temps entre ballades sur le bord des quais et petites courses de dernières minutes. Quelques sucreries et une bouteille de vin amélioreront notre quotidien ( la vente d'alcool est interdite sur le bateau )…. Nous nous félicitons de notre prévoyance mais ce n'est que tardivement et sur le chemin du retour vers les bureaux de Navimag qu'une incertitude nous tenaille.... Il nous manque quelque chose.... mais quoi ?... Soudain le tire bouchon s'impose comme une évidence et son absence inconcevable nous pousse à une course effrénée des boutiques susceptibles de vendre l'outil de nos rêves.
Le quartier, comme la ville, est ouvrier . Sa plaza de armas est décevante et son église noire (plus vieux monument de la ville) n'arrive pas à y apporter un quelconque charme. Les magasins, eux, offrent des marchandises à bas prix tandis que les odeurs de fritures envahissent les alentours des stands de restauration rapide. La carcasse calcinée d'un immeuble, abandonnée à son triste sort, donne l'ambiance des rues . L'animation y est frénétique et seuls les plus pauvres, à part, prennent le temps d'y vivre .
Sous un porche, au coin d'une rue, comme phagocytés par le béton, ils y survivent. Leur monde est réduit à ce bout de trottoir gris et sale, leurs biens à ce mince sac de couchage déchiré, leurs joies à l' alcool qui les fait chanter et leurs rêves à ce liquide blanchâtre qu'ils respirent en cachette... Malheureusement, la misère est universelle et Puerto Montt est à l'image de ce Chili avançant à grands pas dans un libéralisme incontrôlé .
17 heures : Assis dans la salle d'attente de la compagnie Navimag, tire bouchon en poche, nous patientons comme les 80 autres passagers. Touristes de toutes nationalités, de tous âges, en couple, entre amis ou en famille mais peu de voyageurs à petit budget....eh oui c'est quand même notre cadeau de Noël....le voyage en pension complète nous coûte 500 dollars... par personne (of course !!) et bien sûr dépasse notre budget journalier . Nos compagnons de voyage sont parfaitement équipés, appareils photo aux zooms impressionnants et paquets de courses débordant de victuailles nous faisons pâle figure avec nos baskets élimées, nos légers coupe-vent et nos sacs à dos vieillis par les kilomètres. Mais l'excitation et l'envie folle de naviguer entre ces fjords absorbent toutes les minutes et le soleil si présent en ce 26 décembre est de bon augure.
En attente de notre départ prévu pour 20 h nous partons à la découverte de l'« Evangelistas », notre « bateau maison » pour 3 jours. Un air un peu familier se dégage de ces lieux.... quelques affiches de consignes ou de sécurités sont encore en français et aux emblèmes de la SNCM. Après les eaux chaudes de la Méditerranée, le voici donc à naviguer dans celles du Pacifique froides et agitées.
Les installations sont correctes : douches et wc collectifs, salle à manger, salle de repos et les deux ponts où nous pouvons déambuler à notre gré.
Dehors le soleil poursuit sa course et son déclin nous offre des couleurs chaudes pour habiller le décor environnant. Là dans le port, cargos en tous genres et bateaux de pêche ont jeté l'ancre.Sur chaque bouée, un lion de mer attend patiemment le retour des pêcheurs et la promesse d'un repas facile.
Accoudés à la rambarde du pont inférieur, comme quelques mois auparavant à Pucallpa, nous regardons le chargement du ferry.
Le soleil est couché quand nous quittons Puerto Montt ...la traversée du golfe d' Ancud et du golfe de Corcovado se fera de nuit. Aucune chance d'apercevoir, une dernière fois, les côtes de Chiloé alors nous rentrons prendre notre premier repas à bord.
On parle donc en espagnol, anglais, allemand, coréen ...ou encore français mais bien sûr, les nationalités ont tendance à se regrouper entre elles, simplement par facilité de communication. Eric, Marie pierre, sandrine et celine sont nos rencontres de ces quelques jours et avec qui nous
partagerons de bons moments jusqu'à ce que nos chemins se séparent à Puerto Natales.
Ce matin, le hublot nous affiche la couleur de ces 3 jours de voyage.... gris.
Malheureusement le soleil ne nous a pas suivi . Le ciel couvert enrobe le paysage alentour tandis que la brume, tel un magicien, nous le dévoile de temps en temps, petit bout par petit bout... Le charme opère cependant....
Ce flou artistique naturel donne aux lieux un côté encore plus sauvage et perdu.
Mais la pluie vient parfaire ce « temps de chien » et réduit encore nos possibilités d'admirer le décor environnant.
Dommage !! Malgré tout, le spectacle est là... avec cette envie d'en profiter un maximum, récompensée par les quelques éclaircies nous permettant, enfin, de découvrir ce bout du monde et ceux qui y vivent... en couleur .
Et nous avons tout le temps de regarder, contempler...tout le temps de s'émerveiller.... Rien d'autre à faire ! Pas de téléphone, pas d'internet .... et c'est si bien !!!!
Les seules animations prévues sont des moments d'informations donnés en anglais et en espagnol sur notre trajet , la faune et la flore ainsi que sur le fameux parc « torres del paine » destination finale de notre voyage. L'animateur naturaliste est un fin connaisseur et un vrai passionné, ne se lassant pas de conter cette Patagonie qu'il traverse depuis des années. Ne désirant pas l'ambiance « croisière s'amuse », cela suffit amplement à notre bonheur, chassant de temps en temps la monotonie de la grisaille des paysages et les rougeurs de la pluie fouettant notre visage par un peu de lecture et d'écriture .

Îles de toutes grandeurs et de toutes hauteurs s’égrenant au fil de l'eau, elles nous offrent le vert tendre de leur forêt, contrastant avec la couleur de la roche laissée par endroit à nu .
Quelques phoques suivent le bateau et nous font le plaisir de nous accompagner un long moment, nous permettant ainsi d'admirer leur grâce et leur agilité dans ces eaux froides. La silhouette d'un bateau de pêche se détache un instant du décor. Venu remonter ses filets, sa présence nous rappelle que là bas, cachés par ce voile de nuages, des gens vivent.

Ce soir, nous sortons des eaux paisibles des fjords pour affronter l'océan pacifique au nord du golfe de Penas . La traversée dure environ 12h et est réputée pour être mouvementée. Prudents, nous avons prévu les cachets contre le mal de mer mais la question est de savoir si nous les prenons... Le plancher commence à sérieusement nous jouer des tours et amener son plateau repas jusqu'à sa table devient problématique et hasardeux.
Le roulis s'intensifie et nous trouvons refuge sur nos couchettes. Supportant ce ballottement continuel et voulant tester notre pied marin, nous nous abstenons de médicament , nous amusant même de ces montagnes russes ….Impossible de lire, alors, nous fermons les yeux en espérant pouvoir dormir...!
Finalement, la nuit fut douce.. et exceptionnellement calme selon les dires de l'équipage.


Là bas, une colonie de manchots a élu domicile, un peu plus loin une trentaine de lions de mer se prélassent sous les faibles et fugitifs rayons du soleil. Mais nous renonçons aux photos ...trop loin, trop brumeux . Seuls resteront les souvenirs de ces rencontres fortuites.
Soudain, dans ce voile blanchâtre apparaît la silhouette d'un cargo posé là au milieu de l'eau . L'épave du « capitàn Leonidas » échoué dans les années 70 sur le seul îlot connu et submergé de ce profond canal, est resté là, servant désormais de balise aux autres navires. L'histoire fait encore sourire des générations de marins !!
La brume donne de la beauté, du mystère à cette ferraille rouillée qui dresse encore fièrement ses mâts vers ce ciel si bas. L'imagination faisant, on s'attend à apercevoir quelques fantômes sur le pont ou quelques mercenaires prêts à nous rançonner... véritable décor de film ou encore d'un Corto Maltes !
Notre ferry poursuit sa route vers le canal Angostura Inglesa mais un épisode pluvieux nous confine à l'intérieur. Nous en profitons pour assister à la causerie quotidienne de notre guide naturaliste...brusquement un membre d'équipage fait irruption dans la salle et lance un « Baleine...Baleine en vue ! » .
Abandonnées les fleurs de Patagonie, abandonnés stylos et livres, chacun se précipitant sur le pont avant...là où le capitaine a aperçu le souffle de l'animal. Et malgré un temps exécrable, c'est avec des regards émerveillés d'enfants que nous scrutons la surface de l'eau....là...elle est là ! Nous admirons plusieurs fois son souffle avant que, majestueusement et dans un « ouah ! » général, elle plonge dans les profondeurs...nous laissant admirer un instant son dos et semblant nous saluer une dernière fois en dressant vers les cieux ses nageoires caudales. Moment magique...émotion intense !!! Et la photo ?...la photo !...trop de pluie...pas le temps... même pas essayer... Juste s'émerveiller de cette chanceuse rencontre et profiter au maximum de cet instant unique .
La surface de l'eau redevient calme et l'espoir de revoir le cétacé disparaît avec les minutes qui s'écoulent... Notre guide sautille de joie...c'est une baleine bleue ! Il n'en a jamais vu à cet endroit et grâce à son zoom, aussi gros que sa tête, il a pu immortalisé l’événement .
En fin d'après midi, nous arrivons à Puerto Edén . Village de 180 habitants situé sur l'île de Wellington dans le parc national de Bernado o'higgins, c'est un bout du monde que nous découvrons avec une population indigène présente sur ces terres depuis 6000 ans.

Notre cargo ne peut s'approcher trop près ….et c'est une valse de petits bateaux, chargeant bidons, marchandises et débarquant des passagers à laquelle nous assistons. Le soleil perce à cet instant le tapis nuageux facilitant les délicates manœuvres .

A l'exemple de ce vieil homme assis à notre table, c'est l'image d'un peuple fier et indépendant au faciès évocateur des chasseurs de phoque du grand nord que nous garderons.


Nous reprenons notre chemin à travers les chenaux direction plein sud . Demain, nous sommes attendus à Puerto Natales mais pour l'instant la nuit tombe sans préambule . Le gris ambiant devient peu à peu plus sombre, les nuages si présents nous privant du spectacle du coucher du soleil.

C'est un paysage dégoulinant, ruisselant d'eau qui défile devant

L'Evangelistas trace sa route à travers le canal Santa Maria...plus que quelques heures de navigation avant notre destination finale . Le capitaine et son équipage sont en alerte . Ici, l'attention est de mise, notre ferry doit se faufiler dans un passage large de 80 mètres seulement. Au loin, nous apercevons ces deux bouts de terre semblant vouloir s'unir mais le spectacle est ailleurs.
A tribord, quatre dauphins viennent de faire leur apparition. Sautant, bondissant, plongeant... cette chorégraphie parfaite nous enchante mais l'heureuse rencontre est trop fugace . A peine, nous ont ils montré leur talent d'acrobate qu'ils s'évanouissent dans le gris des eaux. Heureuse quand même d'avoir pu les voir... ! Mais seuls les passagers peuvent apprécier ce ballet aquatique, l'équipage étant complètement absorbé par la manœuvre délicate. La terre n'a jamais été aussi près... notre bateau semble plus gros, plus imposant et pourtant doucement nous passons cet endroit périlleux.

A midi, nous arrivons à Puerto Natales. Le soleil brille, nous offrant ainsi une superbe vue sur ce petit port de pêche avec en toile de fond les montagnes aux sommets enneigés .
Le temps d' un dernier déjeuner à bord, de ranger nos sacs
et nous voici foulant pour la première fois le sol de la région « ultima esperanza » ( dernier espoir).
Encore une destination rêvée et aux milles et une merveilles...mais ça c'est une autre histoire !
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