Puerto Montt, capitale de la région des lacs n'offre que peu
d'intérêt touristique... mais elle est l'incontournable étape
d'une excursion vers le Sud. Ici pas de monument historique, pas de
volcan ni de lac mais des avions, ferrys, bus ou encore voitures pour
partir vers les terres les plus australes du Chili. Vaste lieu de
transit entre le nord et le sud du pays et important carrefour
commercial, la ville en est très animée et sa gare routière est
une véritable fourmilière. Comme pour de nombreux voyageurs
présents, Puerto montt n'est qu'une pause de quelques heures...
juste le temps d'enregistrer nos bagages et d'attendre notre
embarquement prévu pour 17h.
Nous tuons le temps entre ballades sur le bord des quais et
petites courses de dernières minutes. Quelques sucreries et une
bouteille de vin amélioreront notre quotidien ( la vente d'alcool
est interdite sur le bateau )…. Nous nous félicitons de notre
prévoyance mais ce n'est que tardivement et sur le chemin du retour
vers les bureaux de Navimag qu'une incertitude nous tenaille.... Il
nous manque quelque chose.... mais quoi ?... Soudain le tire
bouchon s'impose comme une évidence et son absence inconcevable nous
pousse à une course effrénée des boutiques susceptibles de vendre
l'outil de nos rêves.
Le quartier, comme la ville, est ouvrier . Sa plaza de armas est
décevante et son église noire (plus vieux monument de la ville)
n'arrive pas à y apporter un quelconque charme. Les magasins, eux,
offrent des marchandises à bas prix tandis que les odeurs de
fritures envahissent les alentours des stands de restauration rapide.
La carcasse calcinée d'un immeuble, abandonnée à son triste sort,
donne l'ambiance des rues . L'animation y est frénétique et seuls
les plus pauvres, à part, prennent le temps d'y vivre .
Sous un porche, au coin d'une rue, comme phagocytés par le béton,
ils y survivent. Leur monde est réduit à ce bout de trottoir gris
et sale, leurs biens à ce mince sac de couchage déchiré, leurs
joies à l' alcool qui les fait chanter et leurs rêves à ce liquide
blanchâtre qu'ils respirent en cachette... Malheureusement, la
misère est universelle et Puerto Montt est à l'image de ce Chili
avançant à grands pas dans un libéralisme incontrôlé .
17 heures : Assis dans la salle d'attente de la compagnie
Navimag, tire bouchon en poche, nous patientons comme les 80 autres
passagers. Touristes de toutes nationalités, de tous âges, en
couple, entre amis ou en famille mais peu de voyageurs à petit
budget....eh oui c'est quand même notre cadeau de Noël....le voyage
en pension complète nous coûte 500 dollars... par personne (of
course !!) et bien sûr dépasse notre budget journalier . Nos
compagnons de voyage sont parfaitement équipés, appareils photo aux
zooms impressionnants et paquets de courses débordant de victuailles
nous faisons pâle figure avec nos baskets élimées, nos légers
coupe-vent et nos sacs à dos vieillis par les kilomètres. Mais
l'excitation et l'envie folle de naviguer entre ces fjords absorbent
toutes les minutes et le soleil si présent en ce 26 décembre est de
bon augure.
18 heures : Nous voici dans notre cabine : 2 lits
superposés, un lavabo avec miroir , une armoire et au dessus d'un
petit bureau... le hublot. Nous bénissons encore notre sur classement
qui nous permet d'avoir vue sur le pacifique.
En attente de notre départ prévu pour 20 h nous partons à la
découverte de l'« Evangelistas », notre « bateau
maison » pour 3 jours. Un air un peu familier se dégage de ces
lieux.... quelques affiches de consignes ou de sécurités sont
encore en français et aux emblèmes de la SNCM. Après les eaux
chaudes de la Méditerranée, le voici donc à naviguer dans celles
du Pacifique froides et agitées.
Les installations sont correctes : douches et wc collectifs,
salle à manger, salle de repos et les deux ponts où nous pouvons
déambuler à notre gré.
Dehors le soleil poursuit sa course et son déclin nous offre des
couleurs chaudes pour habiller le décor environnant. Là dans le
port, cargos en tous genres et bateaux de pêche ont jeté
l'ancre.Sur chaque bouée, un lion de mer attend patiemment le retour
des pêcheurs et la promesse d'un repas facile.
Au très loin, la silhouette du volcan Orsono, au sommet enneigé,
s'impose comme horizon et embellit ce port marchand sans charme.
Accoudés à la rambarde du pont inférieur, comme quelques mois
auparavant à Pucallpa, nous regardons le chargement du ferry.
Ici le béton remplace les routes de terre, les chariots
élévateurs et les grues les colonnes d'ouvriers souffrant sous la
chaleur tandis que stands et marchands ambulants manquent à l'appel.
Mais comme au Pérou, le départ ne se fait qu'une fois le bateau
plein... et malgré des moyens mécaniques plus importants,
l'optimisation de l'espace de la cale est un vrai Tétris....et nous
vaut une petite heure de retard sur l'horaire prévu ( Rien à voir
avec les 16 h de Pucallpa !)
Le soleil est couché quand nous quittons Puerto Montt ...la
traversée du golfe d' Ancud et du golfe de Corcovado se fera de
nuit. Aucune chance d'apercevoir, une dernière fois, les côtes de
Chiloé alors nous rentrons prendre notre premier repas à bord.
A la cafétéria nous avons le choix entre plusieurs entrées,
plats et desserts. Rien d'exceptionnel mais une nourriture correcte
et en quantité suffisante. Les repas sont des instants de rencontres
diverses et variées... Sur ces quelques mètres carrés flottants,
c'est une véritable tour de Babel, à l'image de ce couple d'amis
hollandais qui se sont rencontrés quelques années auparavant en
Amérique du sud mais lui vivant désormais dans le sud de la France
et elle en Colombie.
On parle donc en espagnol, anglais, allemand, coréen ...ou encore
français mais bien sûr, les nationalités ont tendance à se
regrouper entre elles, simplement par facilité de communication.
Eric, Marie pierre, sandrine et celine sont nos rencontres de ces
quelques jours et avec qui nous
partagerons de bons moments jusqu'à
ce que nos chemins se séparent à Puerto Natales.
Ce matin, le hublot nous affiche la couleur de ces 3 jours de
voyage.... gris.
Malheureusement le soleil ne nous a pas suivi . Le ciel couvert
enrobe le paysage alentour tandis que la brume, tel un magicien, nous
le dévoile de temps en temps, petit bout par petit bout... Le
charme opère cependant....
Ce flou artistique naturel donne aux
lieux un côté encore plus sauvage et perdu.
Mais la pluie vient
parfaire ce « temps de chien » et réduit encore nos
possibilités d'admirer le décor environnant.
Dommage !!
Malgré tout, le spectacle est là... avec cette envie d'en profiter
un maximum, récompensée par les quelques éclaircies nous
permettant, enfin, de découvrir ce bout du monde et ceux qui y
vivent... en couleur .
Et nous avons tout le temps de regarder, contempler...tout le
temps de s'émerveiller.... Rien d'autre à faire ! Pas de
téléphone, pas d'internet .... et c'est si bien !!!!
Les seules animations prévues sont des moments d'informations
donnés en anglais et en espagnol sur notre trajet , la faune et la
flore ainsi que sur le fameux parc « torres del paine »
destination finale de notre voyage. L'animateur naturaliste est un
fin connaisseur et un vrai passionné, ne se lassant pas de conter
cette Patagonie qu'il traverse depuis des années. Ne désirant pas
l'ambiance « croisière s'amuse », cela suffit amplement
à notre bonheur, chassant de temps en temps la monotonie de la
grisaille des paysages et les rougeurs de la pluie fouettant notre
visage par un peu de lecture et d'écriture .
Ce matin donc, l 'évangelistas vogue dans la partie la plus
australe du golfe de Corcovado avant d'entrer véritablement dans
les fjords . Selon les conditions climatiques, le capitaine choisit
notre parcours à travers ce dédale de bouts de terre.
Îles de toutes grandeurs et de toutes hauteurs s’égrenant au
fil de l'eau, elles nous offrent le vert tendre de leur forêt,
contrastant avec la couleur de la roche laissée par endroit à nu .
Quelques phoques suivent le bateau et nous font le plaisir de nous
accompagner un long moment, nous permettant ainsi d'admirer leur
grâce et leur agilité dans ces eaux froides. La silhouette d'un
bateau de pêche se détache un instant du décor. Venu remonter ses
filets, sa présence nous rappelle que là bas, cachés par ce voile
de nuages, des gens vivent.
Ce soir, nous sortons des eaux paisibles des fjords pour
affronter l'océan pacifique au nord du golfe de Penas . La traversée
dure environ 12h et est réputée pour être mouvementée. Prudents,
nous avons prévu les cachets contre le mal de mer mais la question
est de savoir si nous les prenons... Le plancher commence à
sérieusement nous jouer des tours et amener son plateau repas
jusqu'à sa table devient problématique et hasardeux.
Le roulis s'intensifie et nous trouvons refuge sur nos couchettes.
Supportant ce ballottement continuel et voulant tester notre pied
marin, nous nous abstenons de médicament , nous amusant même de ces
montagnes russes ….Impossible de lire, alors, nous fermons les yeux
en espérant pouvoir dormir...!
Finalement, la nuit fut douce.. et exceptionnellement calme selon
les dires de l'équipage.
Notre voyage reprend dans ce labyrinthe de canaux . Dans un
brouillard épais, l' « Evangelistas » trace sa
route dans le canal de Messier. Avec une profondeur de 1270 mètres,
il est le passage le plus profond de notre traversée.
Le paysage, comme la veille, nous enchante avec son chapelet
d'îlots se dévoilant timidement comme une amante pudique.
S'écoulant des collines, traversant les forêts, dégringolant la
roche, l'eau est de partout...et l'été qui commence semble faire
pleurer jusqu'à la moindre pierre. Les cascades se succèdent
inlassablement, s'unissent pour finalement s'échouer dans le canal.
Là bas, une colonie de manchots a élu domicile, un peu plus loin
une trentaine de lions de mer se prélassent sous les faibles et
fugitifs rayons du soleil. Mais nous renonçons aux photos ...trop
loin, trop brumeux . Seuls resteront les souvenirs de ces rencontres
fortuites.
Soudain, dans ce voile blanchâtre apparaît la silhouette d'un
cargo posé là au milieu de l'eau . L'épave du « capitàn
Leonidas » échoué dans les années 70 sur le seul îlot connu
et submergé de ce profond canal, est resté là, servant désormais
de balise aux autres navires. L'histoire fait encore sourire des
générations de marins !!
La brume donne de la beauté, du mystère à cette ferraille
rouillée qui dresse encore fièrement ses mâts vers ce ciel si bas.
L'imagination faisant, on s'attend à apercevoir quelques fantômes
sur le pont ou quelques mercenaires prêts à nous rançonner...
véritable décor de film ou encore d'un Corto Maltes !
Notre ferry poursuit sa route vers le canal Angostura Inglesa mais
un épisode pluvieux nous confine à l'intérieur. Nous en profitons
pour assister à la causerie quotidienne de notre guide
naturaliste...brusquement un membre d'équipage fait irruption dans
la salle et lance un « Baleine...Baleine en vue ! » .
Abandonnées les fleurs de Patagonie, abandonnés stylos et
livres, chacun se précipitant sur le pont avant...là où le
capitaine a aperçu le souffle de l'animal. Et malgré un temps
exécrable, c'est avec des regards émerveillés d'enfants que nous
scrutons la surface de l'eau....là...elle est là ! Nous
admirons plusieurs fois son souffle avant que, majestueusement et
dans un « ouah ! » général, elle plonge dans les
profondeurs...nous laissant admirer un instant son dos et semblant
nous saluer une dernière fois en dressant vers les cieux ses
nageoires caudales. Moment magique...émotion intense !!! Et
la photo ?...la photo !...trop de pluie...pas le temps...
même pas essayer... Juste s'émerveiller de cette chanceuse
rencontre et profiter au maximum de cet instant unique .
La surface de l'eau redevient calme et l'espoir de revoir le
cétacé disparaît avec les minutes qui s'écoulent... Notre guide
sautille de joie...c'est une baleine bleue ! Il n'en a jamais vu
à cet endroit et grâce à son zoom, aussi gros que sa tête, il a
pu immortalisé l’événement .
En fin d'après midi, nous arrivons à Puerto Edén . Village de
180 habitants situé sur l'île de Wellington dans le parc national
de Bernado o'higgins, c'est un bout du monde que nous découvrons
avec une population indigène présente sur ces terres depuis 6000
ans.
Là, s'accrochent à flanc de colline des maisons en bois
peintes...pas une rue, pas une route, pas un espace de plat. Rien que
l'eau et la forêt avec comme unique horizon ces îlots à l'infini.
Perdus dans cette nature sauvage et extrême, à 24h de bateau de la
prochaine trace de civilisation, le passage de l'évangélistas est
leur seul lien avec le continent et leur permet de se ravitailler ou
encore de voir la famille ou le médecin à Puerto Natales.
Notre cargo ne peut s'approcher trop près ….et c'est une valse
de petits bateaux, chargeant bidons, marchandises et débarquant des
passagers à laquelle nous assistons. Le soleil perce à cet instant
le tapis nuageux facilitant les délicates manœuvres .
Une vingtaine de villageois nous rejoignent à bord... Enfants,
femmes et hommes de tous âges finiront le voyage avec nous. D'ethnie
Kawésqar, peuple nomade parcourant les chenaux du golfe de Penas
jusqu'au détroit de Magellan, vivant de pêche et de récolte de
coquillages jusqu'à leur rencontre avec les occidentaux, ils se sont
désormais sédentarisés, principalement à Puerto Eden et essaient
de perpétuer leur mode de vie traditionnel, même si le canoë a
laissé la place à la barque à moteur, les peaux de phoque aux
anoraks et les huttes aux maisons de bois. Les remous de l'histoire,
les persécutions, les maladies ont eu raison des 3000 personnes
occupant ce long territoire inhospitalier . Aujourd'hui il ne reste
plus qu'une dizaine de Kawésqars non métissés et leur langue
pourtant toujours enseignée n'est parlée que par une toute petite
partie.
A l'exemple de ce vieil homme assis à notre table, c'est l'image
d'un peuple fier et indépendant au faciès évocateur des chasseurs
de phoque du grand nord que nous garderons.
Puerto Edén ... Un éden si loin du brouhaha du monde où la
nature à la beauté fascinante règne en maître ...mais aussi un
enfer de froid et de glace balayé par des vents violents, des pluies
quotidiennes et inaccessible pendant de longs mois . Puerto
Edén...Paradis ou enfer ? Peut être un peu des deux...
En tous cas, un endroit inoubliable !
Nous reprenons notre chemin à travers les chenaux direction plein
sud . Demain, nous sommes attendus à Puerto Natales mais pour
l'instant la nuit tombe sans préambule . Le gris ambiant devient
peu à peu plus sombre, les nuages si présents nous privant du
spectacle du coucher du soleil.
L'espoir d'un temps plus propice s'efface très vite ce dernier
matin. Mais Denis ne se lasse pas pour autant de photographier les
cascades de plus en plus nombreuses .
C'est un paysage dégoulinant,
ruisselant d'eau qui défile devant
nos yeux tandis qu' au loin nous
apercevons, de temps en temps, les hauts sommets enneigés . Quelques
oiseaux viennent nous saluer... de nouveau, un phoque s'amuse à
faire la course avec nous avant de disparaître .
L'Evangelistas trace sa route à travers le canal Santa
Maria...plus que quelques heures de navigation avant notre
destination finale . Le capitaine et son équipage sont en alerte .
Ici, l'attention est de mise, notre ferry doit se faufiler dans un
passage large de 80 mètres seulement. Au loin, nous apercevons ces
deux bouts de terre semblant vouloir s'unir mais le spectacle est
ailleurs.
A tribord, quatre dauphins viennent de faire leur apparition. Sautant,
bondissant, plongeant... cette chorégraphie parfaite nous enchante
mais l'heureuse rencontre est trop fugace . A peine, nous ont ils
montré leur talent d'acrobate qu'ils s'évanouissent dans le gris
des eaux. Heureuse quand même d'avoir pu les voir... ! Mais
seuls les passagers peuvent apprécier ce ballet aquatique,
l'équipage étant complètement absorbé par la manœuvre délicate.
La terre n'a jamais été aussi près... notre bateau semble plus
gros, plus imposant et pourtant doucement nous passons cet endroit
périlleux.
A midi, nous arrivons à Puerto Natales. Le soleil brille, nous
offrant ainsi une superbe vue sur ce petit port de pêche avec en
toile de fond les montagnes aux sommets enneigés .
Le temps d' un dernier déjeuner à bord, de ranger nos sacs
et
nous voici foulant pour la première fois le sol de la région «
ultima esperanza » ( dernier espoir).
Encore une destination
rêvée et aux milles et une merveilles...mais ça c'est une autre
histoire !